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histoires d'ours
intro
Parmi les personnages célèbres de la littérature jeunesse, les animaux ont la part belle. S’ils sont nombreux à faire vibrer l’imaginaire des enfants, un animal en particulier se distingue cependant, l’OURS.
Nous avons tous en mémoire quelques-uns de ces compagnons de lecture :
MICHKA ERNEST PETIT OURS BRUN WINNIE BJORN BARNABE BALOO PADDIGTON FLOCON OTTO et tant d’autres.
De véritables vedettes ! Des ours de toutes sortes, ceux de la grande famille des ursidés dont on dénombre aujourd’hui 8 espèces : l’ours polaire, l’ours malais, l’ours lippu, l’ours à lunettes, l’ours brun et l’ours noir, l’ours d’Asie et le panda géant.
© Ours de tous poils - Katie Viggers - Sarbacane, 2019
La bête est une figure emblématique de la littérature et du jouet pour enfants, le fameux ours en peluche. Dans le dernier chapitre de L’ours, histoire d’un roi déchu (Seuil, 2007), l’historien Michel Pastoureau évoque l’arrivée de l’ours en peluche au début du XXe siècle et l’ours héros des livres jeunesse. C’est pour l’historien un moment important dans l’histoire symbolique du fauve en Europe, comme une revanche écrit-il. Après avoir été adulé et divinisé dans l’Antiquité, combattu, humilié par l’Eglise au Moyen-âge, l’ours renait symboliquement sur l’oreiller d’un lit d’enfant, sur les pages d’un livre illustré et retrouve de sa superbe.
© Otto, autobiographie d'un ours en peluche
Tomi Ungerer - Ecole des Loisirs, 1999
Premières traces et premiers cultes
Premières traces et premiers cultes
Les premières traces de l’ours sont très anciennes. On retrouve des représentations de l’animal sur les murs des grottes au paléolithique, sur des objets sculptés. Des ossements témoignent également de sa présence comme celui de ce crâne découvert sur un bloc de pierre dans une salle de la grotte Chauvet en Ardèche ; nous sommes aux alentours de 30 000 ans avant notre ère. Si des hypothèses circulent sur l’idée d’un culte dédié à l’ours, le sujet fait débat. Que l’art pariétal soit d’origine chamanique reste une hypothèse. Une chose par contre reste certaine, souligne la préhistorienne Catherine Schwarb : l’intérêt des hommes pour ces animaux, car autrement pourquoi les auraient-ils représentés sur les parois des cavernes ? (cf. Sur les traces de l’ours, revue La grande oreille - N°42, Hiver 2017-2018).
Pour Michel Pastoureau (op. cité), interroger les anciennes mythologies gréco-romaines, germaniques, celtiques, donne des éléments pour comprendre la place qu’a pu occuper l’ours, ses possibles rôles en ces époques reculées en Occident. Car l’ours est bien présent dans l’entourage des divinités. On le retrouve par exemple auprès d’Artémis, sœur jumelle de Zeus, déesse de la chasse, de la nature, protectrice des animaux sauvages.
Souvenons-nous de l’histoire de Callisto, fille de Lycaon, roi d’Arcadie. C’est une nymphe, fidèle d’Artémis la déesse de la chasse. Zeus qui rencontra la jeune femme à la beauté exceptionnelle en tomba fou amoureux. Afin de l’approcher et de la séduire, il prit l’apparence de sa sœur jumelle Artémis. La malheureuse nymphe qui ne put lui résister, perdit sa virginité et chercha ensuite à cacher l’enfant de Zeus qu’elle portait désormais en elle. Ce fut en vain ; Artémis le découvrit. Très en colère, la déesse la chassa en la condamna à errer dans les forêts. La naissance de son fils, Arcas, provoqua la vengeance d’Héra, femme de Zeus qui la transforma en ourse. Une quinzaine d’années plus tard, Arcas qui n’avait pas connu sa mère et ignorait sa destinée d’ourse faillit la tuer lors d’une chasse. Zeus épargna Callisto empêchant Arcas de tuer sa mère. Il les envoya tous les deux rejoindre le ciel où ils devinrent des constellations - La grande et la petite Ourse.
© Les métamorphoses d'Ovide
adaptées par Laurence Gillot, illustrées par Arnauld Rouèche
Nathan, 1957
Pâris, héros s’il en est, fut lui aussi recueilli par une ourse. Son père Priam avait voulu le tuer suite au rêve prémonitoire de sa femme Hécube. Celle-ci avait rêvé mettre au monde une torche enflammée qui provoquerait la destruction de la ville de Troie. Le serviteur chargé de tuer l’enfant préféra l’abandonner dans la forêt où une ourse prit soin de lui.
« Le motif du jeune enfant recueilli par un animal sauvage est présent dans la plupart des mythologies et des légendes liées aux origines des héros » écrit Michel Pastoureau (op. cité p.47).
La métamorphose/le renouveau, l’ours maternelle protectrice sont deux thématiques mythologiques qui associent les ours et les êtres humains. Un autre thème ressort, celui de l'union avec l'ours. L'histoire de Céphale en témoigne. Sans enfant et désirant un fils, Céphale était allé interroger l'oracle de Delphes. Sa parole fut la suivant : s'unir au premier être qui croiserait son chemin. Ce fut une ourse...
Le thème de l'accouplement entre une femme et un ours, le mythe de l'ours amant, attiré par les jeunes femmes, se retrouvera au coeur de nombreuses légendes, décliné dans divers pays du monde.
Un animal puissant
Un animal puissant
© Neige-Blanche et Rose-rouge
Les frères Grimm et Gennady Spirin
Gautier-Languereau, 1995
L’ours à l’imposante musculature incarne la robustesse et la puissance. Il est infatigable, presque invincible. Michel Pastoureau affirme qu’il devint un animal culte pour les peuples germains, celtes, lapons, slaves, baltes. Un animal vénéré, royal. Certes il inspirait la peur, il était chassé, mais le chasseur respectait cet adversaire courageux qui affrontait l’homme sans le fuir. Il fit de lui l’objet d’un véritable culte.
Chez les anciens germains et scandinaves, l’ours est associé à la guerre, il est représenté sur différents attributs comme les casques ou les armes. Le guerrier se nourrit symboliquement de sa force et de son courage. L’historien nous rappelle le temps de ces guerriers païens de la mythologie nordique, les redoutables soldats du dieu Odin, les « Bersekir ». Ils mangent la chair de l’animal, boivent son sang, ils deviennent ours. On les disait cruels et invincibles, partants au combat nus sous une peau d’ours, imitant sa démarche et ses cris terrifiants, comme possédés.
Au XII et XIIIe siècles, l’ours figure sur des armoiries en Allemagne, au Danemark en Suède. Certaines villes gardent encore aujourd’hui la trace de cet honneur fait à l’ours dont nous retrouvons la représentation sur les blasons des villes de Berlin, Berne, Madrid.
La chute d'un roi
La chute d'un roi
L’époque carolingienne marque le début de la lutte de l’Eglise contre les croyances qui érigeaient l’ours en animal sacré. Les cultes liés à l’ours sont combattus par l’Eglise. Ils sont une entrave au processus de diffusion du christianisme et à la conversion des peuples païens.
Dans le monde germanique, la figure de l’ours était admirée et faisait l’objet de nombreuses croyances. « Chez les peuples chasseurs […] l’ours n’est en rien un animal comme les autres. C’est non seulement le roi de la forêt mais aussi une créature intermédiaire entre le monde des bêtes celui des hommes et celui des dieux. Par la même son nom a de bonne heure été entouré de tabous » (op. cité p. 72).
L’Eglise va condamner l’idolâtrie vouée à l’animal. Pour le christianisme, l’homme a été créé à l’image de Dieu. Il n’est pas un simple animal. Les frontières de l’animalité s’affirment. Plus question de vénérer l’ours. L’Eglise va le combattre sur tous les plans. Commencent alors les chasses massives de l’animal, son élimination physique, son humiliation et sa diabolisation. Au XIIIe siècle, l’ours représente à lui seul presque tous les péchés, tous les vices (la luxure, la colère, la goinfrerie, l’envie et la paresse). Le dieu est détrôné et devient haïssable.
Chassé, enfermé, brutalisé, il devient un animal de foire, totalement contraint, enchainé par le museau, tourné en ridicule, grotesque.
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« Le dressage des bêtes est long et cruel. Les ours le détestent. Ils détestent aussi danser car les gens rient de les voir si lourdauds. Les ours n’aiment pas qu’on se moque d’eux. Ils souffrent dans leur âme d’ours. » (Le grand voyage des ours tiré des Contes tziganes - Hachette, 1978) Selon Michel Pastoureau, un texte littéraire témoigne de cette dévalorisation et participe à la déchéance de l’animal - Le roman de Renart. « En Europe occidentale, pour ce qui concerne l’histoire culturelle de l’ours, il y a vraiment un avant et un après le Roman de Renart […] L’ours du roman de Renart est une bête stupide, ridicule, humiliée, constamment victime de goupil et objet de mépris et de risée de la part des autres animaux. Aucune branche ne met en valeur sa force proverbiale, son courage légendaire, sa nature invincible […]. Désormais, pour les contes et les fables comme pour les proverbes et les images, l’ours sera le plus souvent une créature grossière, solitaire, irascible et bornée » (op. cité p. 220-221). |
Un personnage de livres pour enfants
Un personnage de livres pour enfants
Consciemment ou inconsciemment, notre imaginaire se nourrit d’expériences vécues, de paroles ancestrales, de rêves impossibles.
La littérature jeunesse est aussi l’écho de toutes ces histoires lointaines et de tous les savoirs qui se tissent au fil du temps. A sa manière, elle nous invite à faire connaissance avec la grande famille des ours.
Tout se passe comme si l’ours brun dont l’historien a tissé l’histoire culturelle européenne n’était plus contraint à l’isolement au plus profond des forêts. Au centre des livres il reprend symboliquement vie et recouvre sa dignité. Héros de papier il n’en est pas moins digne. Laissons-nous séduire par toutes ces histoires d’ours, par les mythes anciens, les croyances multiples et par la beauté des représentations qui les accompagnent. En voici quelques exemples.
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« Il était une fois trois ours – un grand et un gros papa ours, une maman ourse ni grande ni petite, et un mignon petit bébé ourson »… Qui a grandi avec les petits livres d’or, ne peut oublier les trois ours dessinés par Fédor Rojankovsky en 1949, cette maison si cosy, pleine de fantaisie baroque dans laquelle cheveux d’or s’invite, cette famille ours unie si proche de l’homme. |
Si la chaleur du petit chalet des ours de Rojankovsky fait envie, si y règne plutôt l’apaisement que l’affrontement, la méfiance reste de mise entre l’homme et le fauve. L’ourse qui cherche son petit n’attaque pas Lily qui ramasse des myrtilles ; elle a appris à ne pas leur faire confiance et à être prudente ! |
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Johnny quant à lui est perdu. Dans son village, entre les Etats-Unis et le Canada, où l’on a pour habitude de tuer des ours mais sa famille n’est pas coutumière de tels actes. Envieux de ses amis dont les pères ont accroché les peaux des fauves aux portes de leurs maisons, il part à la chasse à l’ours pour, à son tour, exhiber la plus grande peau de tout le village. Il n’avait cependant pas prévu de tomber sur un petit ourson… |
Elles rappellent aussi le respect des peuples pour l’animal, comme celui des peuples amérindiens. Sans oublier le réconfort de sa fourrure, la protection et l’amitié. |
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«Ushi, il est temps ! Prends la Pipe Sacrée et va-t’en ! Les hommes blancs arrivent de partout, l’or les rend fous. Pars. Vite ! Mais où, Grand-père ? Va au Sommet du Monde, Ushi. Suis la chaleur de la Pipe. Et les conseils de l’Esprit de l’Ours. Ecoute-le. Et tu verras… » |
fin
L’ours est une bête sauvage. C’est aussi un ami des enfants. Les images sont contradictoires mais significatives de la relation forte qui lie les ours et les hommes. L’enfant d’ailleurs ne lâche pas sa main !