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Voyage aux pays des turons
Quand l'archéologie et l'histoire révèlent
le passé gallo-romain de la Touraine
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Une nouvelle acquisition en lien avec les antiquités gallo-romaines entre dans les fonds patrimoniaux
Félix-François de La Sauvagère, Recueil d'antiquités dans les Gaules, enrichi de diverses planches & figures, plans, vues, cartes topographiques & autres dessins, pour servir à l'intelligence des inscriptions de ces antiquités. Ouvrage qui peut servir de suite aux Antiquités de feu M. le comte de Caylus. Par M. de La Sauvagere, chevalier de l'Ordre royal & militaire de S. Louis, ancien directeur en chef dans le corps militaire du Génie, & de l'Académie royale des belles-lettres de La Rochelle -- A Paris, chez Herissant le fils, libraire, rue Saint-Jacques. M.DCC.LXX. Avec approbation & privilège du roi, [1770].
L'entrée de cet ouvrage dans les collections patrimoniales de la Bibliothèque vient compléter la longue liste des auteurs tourangeaux bénéficiant d'un suivi attentif. Le sujet abordé -l'archéologie et les antiquités- est encore peu étudié scientifiquement lors de la parution du livre en 1770. La Sauvagère prend ainsi place dans les pionniers d'un mouvement qui ne va cesser de s'amplifier au XIXe siècle pour le développement de l'archéologie, l'étude et la protection des vestiges des siècles passés, menant à la création des sociétés savantes peuplées d'érudits "antiquaires".
Félix-François le Royer de La Sauvagère est né à Strasbourg en 1707 mais une branche de sa famille a des attaches en Touraine, à Huismes. Il épouse en 1746 la fille de Louis Audiger, seigneur des Places, manoir situé non loin de Savigny-en-Véron, avant d'être fait chevalier des Places à la mort de son beau-père et de s'installer définitivement dans sa demeure tourangelle en 1766. A cette date, il met fin à sa carrière militaire après plus de 40 ans de service et passe sa retraite dans son manoir du Véron où il décède en 1782, laissant plusieurs manuscrits consacrés à l'histoire tourangelle non publiés. Il est inhumé dans le cimetière de Savigny-en-Véron.
Il manifeste dès son adolescence un attrait pour l'étude de l'histoire, de la géographie, de la géologie et des antiquités, activités auxquelles il continue de s'adonner tout au long de sa vie, profitant notamment de ses différents lieux de garnison pour rechercher, étudier et rédiger des notices sur les antiquités des environs, comme ci-dessous, son travail sur les ruines romaines de Saintes et du pays des Santons.
Le présent ouvrage comprend sept dissertations archéologiques dont trois concernent directement les antiquités tourangelles : Recherches sur quelques antiquités des environs de Tours, Recherches sur la pile Saint-Mars et Recherches sur les antiquités égyptiennes, ou description de deux caisses de momies.
Revenons sur ces trois sujets et en premier lieu, sur les explications de l'auteur concernant la localisation de l'antique Caesarodunum. La Sauvagère a le mérite d'être l'un des premiers à proposer une histoire critique des origines de la ville de Tours même si ses conclusions sont inexactes. N'oublions pas qu'il ne dispose pas des mêmes éléments d'informations scientifiques et archéologiques pour éclairer ses choix. Cependant en homme de terrain, il observe, prend des mesures, décrit minutieusement, dessine, compare et fait preuve d'esprit critique et novateur.
"Qu'on se représente la ville capitale des Turonii, dans ces temps reculés, bâtie sur les hauteurs dont on a parlé, au-dessus de Luynes. C'est une situation charmante : elle domine de toutes parts, surtout du côté de la Loire. On aperçoit Tours, qui en est distante de 4400 toises : il y a là les plus belles eaux du monde et dans la plus grande abondance ; elles y étaient conduites par un aqueduc, duquel il reste des ruines magnifiques (...)".
Se basant sur la signification du mot dunum (montagne, lieu éminent, forteresse), l'antiquaire ne peut envisager que le chef-lieu des Turons soit situé à l'emplacement actuel de la capitale tourangelle, une plaine entre Loire et Cher. Pourtant, le Tours antique se développe autour d'une petite éminence, une montille sur laquelle est bâti l'amphithéâtre, à l'abri des crues.
De plus, dans la 2e moitié du XVIIIe siècle, Luynes et ses environs présentent plusieurs vestiges d'édifices gallo-romains alors que Tours est encore pauvre en éléments visibles. Ces considérations l'ont induit en erreur, Luynes n'ayant jamais été "la capitale des Turones sous Jules-César" comme il le mentionne dans son relevé.
La Sauvagère reviendra sur l'emplacement de Caeasorudum et le "prétendu tombeau de Turnus" dans un autre volume postérieur, Recueil de dissertations ou recherches historiques et critiques (...), Paris, Vve Duchesne, 1776. Cet ouvrage est également conservé dans les collections patrimoniales de la Bibliothèque.
La Sauvagère s'intéresse dans une autre dissertation à la pile de Cinq-Mars, monument énigmatique dressé sur la rive droite de la Loire, source de multiples interrogations quant à son origine et sa destination. Il en entreprend une description scientifique, mène des recherches documentaires, constate "des écorchements qui ressemblent fort à des coups de canons", repère les "petites pierres cubiques au parement, maçonnées de ce même mortier de ciment dur comme le fer" et conclut : "Plus on l'examine, plus on y reconnaît la truelle romaine...".
Soulignant l'importance archéologique de ce curieux édifice, il va jusqu'à encourager ses contemporains à protéger la pile et plus généralement "à sauver des ravages du temps des restes d'antiquités".
"On ne peut trop répéter combien elle décore le beau côteau où elle est placée : elle mérite que ceux qui président dans la province, donnent des ordres pour sa conservation. Elle peut être regardée comme un morceau des plus intéressants qui nous soit resté de la magnificence romaine dans cette partie de la Gaule", ce en quoi il n'avait pas tort.
L'auteur délaisse dans un dernier chapitre les antiquités gallo-romaines pour un surprenant sujet, les momies égyptiennes du château d'Ussé : "Ces deux admirables antiquités se voient dans les environs du canton de Touraine où j'habite (...) il importe beaucoup à ce siècle éclairé de ne point négliger tout ce qu'on peut découvrir de ces monuments antiques, pour en multiplier les comparaisons, y puiser des lumières et en retirer de la part des savants qui s'en occupent, toute l'utilité que l'on doit attendre de leur sagacité." Il relate l'histoire de ces deux caisses de momies débarquées à Marseille en 1632, achetées ensuite par le surintendant des finances Nicolas Fouquet, vendues à la mort de ce dernier en 1680 à André Le Nôtre, jardinier du roi, qui en fait don au seigneur d'Ussé, Louis Bernin de Valentinay, receveur général des finances à Tours.
Les deux sarcophages, de hauteur humaine, prennent place dans une niche monumentale creusée dans l'une des terrasses du château. Les visiteurs reçus à Ussé ne manquaient pas ce détour dans les jardins, s'interrogeant sans doute comme Félix de La Sauvagère sur la signification des inscriptions recouvrant les caisses. "Il serait à souhaiter que l'on pût un jour expliquer les caractères hiéroglyphiques" nous dit-il. Son voeu se réalisera plusieurs années après sa mort lorsque Jean-François Champollion y parviendra en 1822.
Les caisses de momies font désormais partie depuis 1847 des collections du musée du Louvre, le seigneur d'Ussé ayant vu ses biens confisqués après la Révolution française.
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Bibliographie (non exhaustive)
Audin (Pierre), "Au XVIIIe siècle, un Tourangeau ingénieur et archéologue : Félix Le Royer de La Sauvagère (1707-1782)", Mémoires de l'Académie des sciences, arts & belles-lettres de Touraine, tome23, 2010, p. 37-56
Couderc (Jean-Mary), "Le Royer de La Sauvagère" [notice biographique], Dictionnaire des scientifiques de Touraine, Académie de Touraine et PUFR, 2017, p.277-278
Laurencin (Michel), "Le Royer de La Sauvagère [notice biographique], Dictionnaire biographique de Touraine, C.L.D., p. 363
Mazard (Patrick), "Notes sur F. Le Royer de La Sauvagère", Bulletin de la Société des amis du vieux Chinon, tome 8, 1982, p. 819-826
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Une exposition à la Bibliothèque centrale
Ambacia, Fundeta, Evena, Caesarodunum, Malliacum, Iciodorum... Tous ces lieux à consonance gauloise ou romaine que l'on retrouve maintenant sur nos cartes géographiques sous le nom d'Amboise, Fondettes, Esvres-sur-Indre, Tours, Luynes et Yzeures-sur-Creuse témoignent d'une occupation fort ancienne de l'actuel territoire d'Indre-et-Loire.
En dehors de ces données étymologiques, plusieurs monuments emblématiques du passé gallo-romain de la Touraine dressent encore fièrement leur silhouette dans le paysage tourangeau. L'aqueduc de Luynes et la pile de Cinq-Mars sont peut-être les plus connus mais bien d'autres vestiges d'édifices antiques ont été mis au jour ou restent à étudier.
La Bibliothèque vous propose un éclairage sur cette Touraine des premiers siècles de notre ère à travers une sélection d'ouvrages et d'illustrations issus des fonds patrimoniaux.
La Société archéologique de Touraine, dès les années 1840, prend une part active dans la recherche de ces antiquités, comme en témoignent les nombreux comptes-rendus et articles publiés dans ses bulletins. Vous retrouverez au fil de l'exposition plus d'une trentaine d'objets gallo-romains provenant de sa remarquable collection désormais déposée auprès du Conseil départemental d'Indre-et-Loire.
Le tableau ne serait pas complet sans accorder toute la place qui revient aux travaux des archéologues et des scientifiques sur le terrain. Le prêt par la ville d'Amboise d'un ensemble de panneaux retraçant l'histoire de la cité antique d'Ambacia et les opérations de fouilles menées depuis 1954 sur l'important site du plateau des Châtelliers y remédie, tout en nous livrant un aperçu du mode de vie du peuple des Turons.
Exposition en partenariat avec la Ville d'Amboise et la Société archéologique de Touraine.