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Visages de la place jean jaurès à tours
trois siècles d'aménagements urbains
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Les jets d'eau de la place Jean Jaurès se mêlent aux gouttes de pluie en ce jour de janvier 2021. Les rares piétons et véhicules nous permettent de profiter du panorama qui s'offre depuis les balcons du premier étage de l'hôtel de ville et d'apprécier l'ordonnancement des façades des immeubles bordant les deux grands axes de circulation : vers le sud de la ville, l'avenue de Grammont, d'est en ouest, les boulevards Heurteloup et Béranger.
Mais d'ici cinq ans, la place Jean Jaurès présentera certainement un autre visage. À la première ligne du tramway viendra s'ajouter la circulation de la future ligne B. Les travaux de la deuxième ligne devant débuter en 2023, la municipalité et Tours Métropole saissisent l'occasion pour lancer un vaste projet de restructuration de cet espace central de Tours en y associant les habitants.
En attendant ces aménagements urbains, tournons-nous vers le passé et remontons jusqu'au milieu du 18e siècle. Les cartes, plans, estampes et autres imprimés des collections patrimoniales de la Bibliothèque nous serviront de fil conducteur pour retracer les grandes étapes qui ont façonné ce lieu stratégique, transformant la première place dite des Portes-de-Fer en l'actuelle place Jean Jaurès.
Les aménagements successifs de la place
Ce plan dessiné et aquarellé date de 1739. La ville de Tours y est représentée avant que ne commencent les grands travaux du milieu du 18e siècle. L'enceinte achevée dans les années 1620 enserre une ville de 175 hectares encore peu urbanisée. Seuls deux quartiers sont historiquement plus denses : la Cité, à l'est, développée autour du château et de la cathédrale, et, à l'ouest, le bourg de Châteauneuf, quartier commercial qui a profité de l'attractivité des reliques de saint Martin précieusement conservées dans l'église abbatiale. Le long du mur fortifié du côté de la plaine du Cher, deux mails plantés d'arbres ont été aménagés de part et d'autre de la porte Saint-Étienne. Ils portent le nom de Rempart du Petit mail et Rempart du Grand mail. La future rue Nationale s'établira sur le tracé de la rue du Bac, de la rue Traversaine et de la rue Neuve Saint-Louis et aboutira à une place qui n'est pour l'instant que jardins et varennes.
L'organisation spatiale de Tours va être profondément modifiée par la construction d'une nouvelle route voulue par le roi Louis XV, menant de Paris à l'Espagne via la capitale tourangelle et Bordeaux.
Les travaux, commencés en 1745, créent un nouvel axe de circulation traversant la ville du nord au sud. Le voyageur arrivant de Paris emprunte la Tranchée, voie toute récemment percée dans le coteau nord, franchit la Loire par le pont Neuf, ouvert à la circulation des véhicules en 1779, et pénètre dans la rue Neuve achevée en 1782. Le trajet se poursuit par la traversée d'une vaste place en demi-lune, la place des Portes de Fer et, enfin, la levée de Grammont, longue de deux kilomètres. Cette dernière chaussée a été surélevée pour éviter d'être inondée lors des crues.
Ci-contre, le détail d'un plan aquarellé (vers 1756) montrant l'axe de la route d'Espagne dans sa traversée de Tours, permet de visualiser le projet d'aménagement de la place. Danielle Bisson (in Villes en représentation, Tours, Archea, 1995) attribue ce relevé à l'ingénieur Mathieu de Bayeux. Cette étude inachevée a peut-être été présentée au roi pour obtenir son accord sur le tracé définitif de la voie.
Une vaste place est prévue au carrefour des deux grands axes de circulation qui redéfiniront bientôt la ville - la nouvelle rue Royale et les mails le long de l'enceinte, futurs boulevards Heurteloup et Béranger. Les maisons qui seront élevées le long de la rue Neuve selon un plan d'alignement validé par le Conseil d'État du Roi ne sont pas reportées sur le plan, seule une mention manuscrite indique l'hôtel Papion édifié en 1750 à l'angle de l'actuelle rue des Minimes et de la rue Nationale. Ce bâtiment sera démoli dans les dernières années du 19e siècle pour laisser la place au nouvel Hôtel de ville (ne pas hésitez à zoomer sur l'image) .
Ces détails de deux lithographies donnent une vue précise de la configuration de la place au milieu du 19e siècle. Reproduites dans des albums d'excursions aériennes en ballon, la gravure de gauche est datée de 1847 et celle de droite autour de 1855. Les dates sont importantes car Tours connaît dans ces années-là des changements qui vont marquer l'espace urbain et le tissu économique. Au rang de ceux-ci, l'annexion en 1845 de la commune de Saint-Étienne Extra permet à la ville de Tours de tripler son territoire et de s'étendre bientôt au-delà des anciennes fortifications. L'aute grand fait marquant est l'arrivée du chemin de fer en 1846. On aperçoit d'ailleurs dans la gravure de droite l'embarcadère, ce grand bâtiment à fronton perpendiculaire au mail, qui est la première gare de Tours.
L'entrée sud de la ville porte le nom de place des Portes-de-Fer jusqu'à ce que ces lourdes grilles posées en 1751 perdent leur utilité et soient remplacées par des barrières en bois. En effet, l'arrivée de marchandises dans Tours était soumise à la perception d'un impôt, l'octroi, mais une fois l'ancienne commune de Saint-Étienne Extra annexée (en 1845), la barrière d'octroi fut repoussée plus au sud à la nouvelle entrée de ville sise à la barrière de Grammont.
Décidé en 1839 et achevé en 1845, l'aménagement de la place présente déjà une disposition presque familière avec cet hémicycle bordé de beaux immeubles à deux étages sur arcades et toits sans mansarde pour respecter le règlement d'urbanisme de 1841. L'expansion urbaine se profile déjà sur les lithographies avec ces hôtels particuliers construits rue Royale et le long de la chaussée de Grammont.
L'on distingue encore, notamment dans la gravure de gauche, les anciens fossés le long des remparts. Ces fortifications ne disparaissent définitivement qu'après le décret impérial du 12 avril 1862 qui autorise l'arasement des remparts et l'aménagement des mails en deux boulevards rapidement bordés eux aussi d'hôtels particuliers et de maisons de rapport.
Entre 1838 et 1843, on édifie le nouveau palais de justice qui donnera son nom à la place jusqu'en 1926 où elle devient la "place Jean Jaurès". Les deux gravures ci-dessus, des années 1850, nous montrent une vaste esplanade encore non pavée où promeneurs et militaires s'attardent à proximité des mails arborés, délimités par des bornes et des chaînes. Le palais de justice déploie ses 83 mètres de long du côté de la place. Il présente une architecture néoclassique marquée par un porche à fronton aux imposantes colonnes de style dorique. L'ensemble établi d'après les plans de l'architecte Charles-Anthyme Jacquemin (1814-1869) très largement inspiré par son père Jean-Bernard-Toussaint Jacquemin, lui-même architecte, comprend également un pénitencier (là où se situe de nos jours la grande Poste) et une caserne de gendarmerie du côté de la rue Royale. En 1909, les gendarmes quitteront ce lieu pour leur nouvelle caserne installée avenue de Grammont.
Le plan ci-dessous, extrait de l'Annuaire du département d'Indre-et-Loire, année 1901, restitue les abords de la place juste avant la construction de l'hôtel de ville qui fera pendant au palais de justice. L'hôtel Papion du Château que la photographie à droite nous dévoile, est en effet déjà en partie démoli comme nous l'indique la mention sur le plan "Hôtel de ville en construction" tandis que la bibliothèque municipale, également indiquée, a trouvé refuge dans l'hôtel voisin, l'hôtel Léturgeon, en attendant son transfert vers la place des arts en front de Loire.
La place du palais apparaît divisée en deux parterres ornés chacun d'un bassin. Une statue de l'écrivain tourangeau Honoré de Balzac, oeuvre du sculpteur Paul Fournier, a pris place sur l'esplanade depuis 1889.
Le 24 mai 1896, le président de la République Félix Faure se déplace à Tours pour la pose de la première pierre du nouvel hôtel de ville. Élevé d'après les plans de l'architecte tourangeau Victor Laloux, qui travaille à la même époque sur le projet de la nouvelle gare de Tours, les travaux de construction de la mairie durent jusqu'en 1904. Ainsi, sur une même place, vont se trouver cote à cote le pouvoir politique et le pouvoir judiciaire. D'une architecture radicalement différente de celle du palais de justice, ce monumental édifice au riche décor sculpté, couronné d'un campanile culminant à 27,55 mètres, attire les regards et structure l'espace urbain.
Au tournant des 19e et 20e siècles, la place du palais est devenu un pôle attractif, lieu de défilés et de déambulations où fleurissent les commerces, cafés et hôtels. Les encarts publicitaires ou les listes d'habitants diffusés dans l'Annuaire du département d'Indre-et-Loire laissent deviner l'attractivité économique de ce secteur. Fondé en 1887, le café-brasserie de l'Univers est parmi les plus renommés, mais les clients peuvent opter pour le café des Jets d'eau, le Comptoir des plaideurs, le café du Grand-Turc, le café Continental, le café Rivault-Tellier, le café de l'Hôtel de ville, le Comptoir Dalloux, le café de Paris ou le café de l'Époque.
Non loin de la place, dans l'artère principale de la ville où les grands magasins se sont installés, les Tourangeaux peuvent s'approvisionner aux Nouvelles Galeries (anciennement Grand Bazar) depuis 1908.
La place du palais au carrefour des grandes artères de la ville est également le lieu où se croisent les réseaux de transport urbain et la circulation automobile. La première ligne de tramway inaugurée en juillet 1877 traverse l'esplanade pour relier la barrière de Grammont (actuelle place de Verdun) à la barrière de Vouvray. La ligne B dont le parcours va de l'hôpital Bretonneau à la place Velpeau traverse également la place. Un kiosque pour les voyageurs en attente du tramway est installé face au palais de justice. Les réclames investissent le mobilier urbain que ce soit les colonnes Morris recommandant les produits "Maggi", "Liebig" et "chocolat Meunier" ou le toit du kiosque indiquant le commerce de proximité la Grande Pharmacie au 47 rue Nationale et le rhum des plantations St James, au parfum plus exotique.
Aux calèches et tramways succèdent dans les années d'après-guerre les voitures. Circulation locale ou vacanciers en route pour le sud de la France, la rue Nationale, section urbaine de la RN 10, voit alors passer de nombreux véhicules avant d'être rendue aux seules circulations douces et transports en commun au début des années 2000.
https://tours-metropole.fr/la-2e-ligne-de-tramway
https://blog.letramdetours.net/ligne-b-le-tram-au-coeur-des-debats-du-conseil-municipal
https://adttouraine.com
https://www.37degres-mag.fr/societe/quel-avenir-pour-la-place-jean-jaures-lanalyse-detaillee-de-notre-sondage
Et parce qu'une vue aérienne permet de prendre de la hauteur, on vous recommande un passage par Tours à 360°.