Les grands méchants

Note Idées lecture BnF : POUR Ce livre rassemble treize portraits de « méchants » reconnus, déclarés comme tels par la tradition et le qu'en dira-t-on, issus de contes, de la mythologie grecque, de trois classiques de la littérature pour enfants et d'un roman fantastique devenu légendaire. Avec grand talent, Marie Desplechin nous entraîne dans le monde de personnages sans lesquels les histoires auraient bien peu d'intérêt. Que seraient Blanche-Neige sans sa marâtre, la Transylvanie sans ses vampires ou Cendrillon sans ses sœurs ? Ils sont le sel et souvent le moteur de ces récits. L'autrice plaide leur cause avec talent, parlant en leur nom : fausse candeur, superbe mauvaise foi et humour – souvent plus que noir – sont ses armes ! Elle le fait imperturbablement, dans une langue délectable, à la fois raffinée et familière, ce qui provoque le rire assurément. Elle bouscule nombre d'idées reçues en invitant aussi, au-delà du rire, à réfléchir (cf. le texte consacré au loup). L'immense format permet aux illustrations pleines de gravité d'Elsa Oriol de prendre toute leur aise. La typographie du titre sur la couverture et de la page de titre est d'une grande élégance, les tranches dorées très raffinées, les pages de garde magnifiques. Un très beau livre à offrir. | CONTRE | En regard de son portrait, un « méchant » donne son point de vue. Mais qu'est-ce qu'un méchant ? Le joueur de flûte de Hamelin qui s'est fait berner par les habitants de la ville ? Le prince qui découvre après coup le sacrifice de la Petite Sirène ? Ces personnages d'histoires s'adressant à des tranches d'âges différentes (du Petit Chaperon rouge à Dracula en passant par Alice au pays des merveilles) sont souvent très allusifs dans leurs propos, de sorte qu'il est nécessaire de bien connaître leur histoire pour apprécier l'humour (noir) ou le point de vue décalé. L'exercice de style tient du mauvais esprit lorsque le méchant invente éhontément sa version de l'histoire en toute mauvaise foi sans s'appuyer sur les éléments du conte (par exemple, la sorcière se défend de piéger les enfants avec une maison en friandises, Hänsel et Gretel dévoraient ses boules de graisse pour oiseaux ; Blanche-Neige aurait fugué selon sa marâtre, et cette dernière n'aurait pas été invitée à la noce alors qu'elle y a reçu son châtiment mortel). Il reste la sensation désagréable d'être manipulé par des récits galvaudés et par ces méchants, qui, pour se défendre, continuent de se moquer de nous. Dommage que Marie Desplechin ne signe pas elle-même la préface pour expliquer son travail d'écriture, d'intérêt très inégal, et selon un corpus discutable. Un livre qui fera plaisir aux adultes peut-être ?