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Histoire

Disposition

Histoire de la bibliothèque de Tours et de ses nombreux déménagements,
1790-1940

La date du 19 juin 1940 est un élément clé dans l’histoire de l’institution. Ce jour-là, un incendie détruisit la quasi-totalité des collections, emportant notamment dans les flammes 1.200 manuscrits, 400 incunables ainsi que tous les documents déposés par les sociétés savantes locales.
Installée place Anatole France depuis 1907, l’établissement, au tout début de la Seconde Guerre mondiale, participait pleinement à la vie culturelle tourangelle. Il avait su s’adapter à l’évolution des pratiques en bibliothèque et montrait une belle dynamique. Mais de telles conditions favorables sont loin d’avoir toujours été réunies. Depuis l’ouverture au public de la première bibliothèque en 1793, déménagements multiples, locaux inadaptés, vols et dégradations, désordres administratifs ou manque de personnel ont aussi émaillé le quotidien de la Bibliothèque et de ses collections.
Voici retracées les principales étapes de l’histoire.

Pour aller plus loin

La période de la Reconstruction d’après-guerre a été abordée dans deux articles essentiels.

Jean-Luc Porhel et Sandrine Leturcq, « La Bibliothèque municipale au cœur de la reconstruction de Tours après 1945 », Mémoires de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Touraine, tome 31, 2018, p. 93-114

Régis Rech, « Du styx au phénix ? Les collections patrimoniales de la Bibliothèque municipale de Tours : 1940-2020 », Bulletin de la Société archéologique de Touraine - Tome LXVII, 2021, p. 177-194

Emplacement des établissements ayant accueilli la bibliothèque de Tours de 1790 à 1940

Emplacement des établissements ayant accueilli la bibliothèque de Tours de 1790 à 1940

Les mesures prises pendant la période révolutionnaire sont à l’origine de la création de nombreuses bibliothèques en France dont celle de Tours.
Les décrets des 2-4 novembre 1789 instituant que les biens du clergé « sont mis à la disposition de la nation » entraînent de fait la saisie des bibliothèques des communautés religieuses. Un autre décret du 14 novembre 1789 prescrit à ces dernières de rédiger un rapport sur l'état de leur bibliothèque et de le remettre, avec les catalogues correspondants, aux greffes des sièges royaux ou aux municipalités.
Selon les instructions, le directoire du nouveau département d'Indre-et-Loire tout juste créé le 4 mars 1790, va donc faire procéder à la mise sous scellés des collections. Les livres et les objets d’art bénéficient d’un traitement spécifique. Les autorités révolutionnaires considérant qu’ils peuvent servir à éduquer la nation en mettant à la portée de tous un patrimoine jadis réservé à une élite les excluent des ventes. Ils sont donc a priori préservés et rassemblés dans des « dépôts littéraires » tandis que l’on organisera la vente des autres biens nationaux de première origine. Les bibliothèques confisquées aux émigrés (1792) puis  les livres saisis aux académies, sociétés savantes et universités (1793) viendront rejoindre au fur et à mesure les premiers envois aux dépôts.
Dans le district de Tours, œuvres d’art et livres trouvent place dans un premier temps au cloître de la collégiale Saint-Martin avant de gagner par arrêté du 10 novembre 1792 un nouveau lieu de dépôt, plus sûr, l’église du couvent des Filles de l’Union chrétienne (l’actuel Temple protestant dans la rue de la Préfecture).
Les nombreux ouvrages, probablement entassés faute de mobilier adéquat, attendent d’être inventoriés, chaque district devant envoyer à Paris des catalogues précis afin d'établir un catalogue national. Le travail d’inventaire est effectué dans notre ville par Jean-Joseph Abrassart (1758-1800), ancien religieux de Marmoutier qui devient le premier bibliothécaire en charge des collections.  Une copie du catalogue envoyé au Comité d’instruction publique est encore conservée dans les fonds patrimoniaux, offrant un état précis du « dépôt littéraire ».

Le Catalogue descriptif et raisonné des manuscrits de la bibliothèque de Tours rédigé par Auguste Dorange (Tours, impr. Jules Bouserez, 1875) confirme l’origine des manuscrits formant le noyau dur des collections de la Bibliothèque.
Ils proviennent des trois principaux établissements religieux de la ville de Tours : la bibliothèque du chapitre de la cathédrale Saint-Gatien  (461 volumes), la bibliothèque de la collégiale Saint-Martin  (272 documents) et la bibliothèque de l’abbaye de Marmoutier (360 ouvrages).
S’ajoutent à cette liste en moindre proportion les livres et manuscrits d’autres communautés religieuses de Tours telles les Augustins, les Carmes, les Minimes du Plessis-lès-Tours, les Bénédictins de Saint-Julien, les Bénédictines de l’abbaye de Beaumont-lès-Tours ou du département (5 manuscrits viennent de la Chartreuse du Liget par exemple ou de l’abbaye de Cormery).
Rapidement, les mauvaises conditions de conservation au couvent des Filles de l’Union chrétienne vont être dénoncées  entraînant dès février 1793 le transfert des collections vers un nouveau point de chute, l’ancien archevêché, devenu bien national (l’actuel bâtiment occupé par le musée des Beaux-Arts). Tout va assez vite puisque nous savons que dès le 21 octobre 1793, les collections placées sous la responsabilité du Conseil général du département d’Indre-et-Loire, sont à disposition du public tous les jours sauf le dimanche, de 10 à 14h. Elles occupent les salles du deuxième étage, le premier étage accueillant le Musée et le rez-de-chaussée l’École de dessin.

Dix ans plus tard, suite au décret du 28 janvier 1803, les bibliothèques « seront mises à la disposition et sous la surveillance de la municipalité. Il sera nommé par ladite municipalité un conservateur de la bibliothèque dont le traitement sera payé aux frais de la commune. Il sera fait de tous les livres de la bibliothèque un état certifié véritable... ». Néanmoins les fonds de livres provenant des confiscations révolutionnaires resteront propriété de l’État, leur entretien incombant cependant aux municipalités.

La Bibliothèque demeure dans l’ancien archevêché jusqu’au printemps 1803, date à laquelle le bâtiment est rendu à l’Église suite au Concordat. Ce changement de propriétaire est synonyme de nouveau déménagement. Quelle destination ? Les 30.000 volumes quittent l’archevêché pour être déposés à l’ancien couvent des religieuses de la Visitation. Mais l’errance des documents va reprendre au début de l’année 1804 lorsque la Préfecture s’installe dans ce couvent qu’elle occupe encore de nos jours. Finalement la bibliothèque rejoint les locaux sombres et humides de l’ancien hôtel de l’Intendance (rue de l’ancienne Intendance devenue l’actuelle rue des Halles).
On note alors une période de quasi abandon marquée par huit années de fermeture au public,  l’absence de personnel qualifié et de tout travail sur les ouvrages déposés. Dans ce grand désordre, il est évident que de précieux documents ont été subtilisés ou se sont dégradés. Il faut attendre un arrêté préfectoral  du 5 novembre 1811, pour qu’une réouverture se dessine sous la conduite du nouveau bibliothécaire Pierre-Lucien-Joseph Dreux (1756–1823) et de son adjoint Anselme-Léopold Chauveau (1773–1844).
La situation aurait peut-être pu s’améliorer et se stabiliser avec le temps sauf que le célèbre imprimeur tourangeau Amand Mame achète l’ancienne Intendance pour y installer ses ateliers en décembre 1824. C’est un nouveau transfert qui se profile, le sixième en trente-cinq ans. La bibliothèque échoue à nouveau dans les murs de l’ancien couvent des religieuses de la Visitation occupé par les services de la Préfecture.

Les trente-six années passées dans les salles mises à disposition par la Préfecture permettent de commencer le travail d’inventaire et d’enrichissement des collections.

Le recensement des manuscrits apparaît prioritaire tant le risque de nouvelles pertes d’œuvres est grand. Anselme Chauveau devenu bibliothécaire en titre envoie en 1840 au Ministère de l’instruction publique un Inventaire méthodique des manuscrits de la bibliothèque de Tours, comportant malheureusement beaucoup d’erreurs ou d’inexactitudes. La même année l’inspecteur général des bibliothèques Félix Ravaisson souligne dans son rapport d’inspection les richesses des fonds tourangeaux.
Les précieux manuscrits attirent l’attention d’un malhonnête comte d’origine italienne, bibliophile averti, de surcroît officiellement chargé sous la monarchie de Juillet d’inspecter les bibliothèques de province, Guglielmo Libri. En 1842, il dérobe lors de ses visites à Tours vingt-trois ouvrages savamment choisis. Ces vols ajoutés au manque de sécurité dans les locaux, à la négligence ou à la pratique de la vente au poids du papier et du parchemin d’exemplaires en double conduisent à la disparition de plusieurs centaines de manuscrits et imprimés dans la première moitié du XIXe siècle.  Le conservateur Gaston Collon  dresse ce constat en 1900 dans l’introduction au Catalogue général des manuscrits des bibliothèques de France, t.XXXVII, Tours : « Il n'en reste pas moins certain que, sur les 1100 manuscrits environ que renfermaient au XVIIIe siècle les trois bibliothèques de Saint-Gatien, Saint-Martin et Marmoutier, plus de 300, et non des moins importants, ont été enlevés à la ville de Tours. Si quelques-uns se retrouvent sur les rayons de bibliothèques publiques ou particulières, plus de 200, disparus sans laisser de traces, paraissent définitivement perdus pour la science ».
Le sort des collections s’améliore toutefois dès les années 1845-1850. Un travail d’estampillage et de bibliographie préalable aux notices du futur catalogue des imprimés et des manuscrits est mené sous l’impulsion du nouveau bibliothécaire Victor Luzarche (1805-1869) et de son adjoint M. Miton. La tâche de description est poursuivie par Auguste Dorange (1816-1896), nommé bibliothécaire en 1859, mais la parution définitive du Catalogue descriptif et raisonné des manuscrits de la bibliothèque de Tours n’aura lieu qu’en 1875.

La publication chaque année dans les Annuaires du département d’Indre-et-Loire d’une notice sur la Bibliothèque constitue une source intéressante pour suivre l’histoire de l’institution, l’évolution des collections ou les horaires d’ouverture au public. Les nouveaux documents venant enrichir les fonds sont utilement signalés, qu’ils proviennent d’acquisitions faites au compte de la ville, de dons de particuliers, de legs ou d’envois du Ministère de l’Instruction publique.
Ces mêmes années 1850 voient poindre un conflit latent entre le préfet du département et le maire de la ville au sujet de l’hébergement de la bibliothèque, institution relevant de l’autorité municipale, dans un bâtiment appartenant à la Préfecture. La crise atteint son apogée en 1862 lors du rapatriement des archives du département dans les salles occupées par la bibliothèque. Cette dernière, une fois encore, remet ses collections en caisses et quitte l’ancien couvent de la Visitation pour une nouvelle adresse et surtout des locaux appartenant à la ville de Tours.

De 1862 à 1896, la Bibliothèque s’installe donc dans l’ancien hôtel Papion du Château, au 88 rue Royale (à l’emplacement du nouvel Hôtel de ville, rue Nationale).

Cette fabrique de soieries et de damas rachetée par l’architecte Jacques-Aimé Meffre (1795-1869) et revendue partiellement à la ville en 1861, n’est pas préparée à accueillir livres et visiteurs. Il faut une dizaine d’années pour que les appartements soient convenablement réaménagés. Les manuscrits et ouvrages les plus précieux prennent alors place dans les boiseries sauvegardées de la bibliothèque du duc de Choiseul au château de Chanteloup et données à la ville par la veuve de Victor Luzarche . Auguste Dorange nous a décrit les lieux dans une brochure de huit pages Notice sur la bibliothèque publique de Tours (ca 1876) : « Au rez-de-chaussée, une belle salle de lecture longue de 12 mètres, pouvant contenir 30 lecteurs confortablement installés, renferme les ouvrages de travail, tels que dictionnaires, journaux de la localité, revues et atlas ; au 1er étage, deux belles galeries contiennent les 50 000 volumes imprimés classés en 5 grandes divisions : Théologie, Jurisprudence, Sciences et Arts, Littérature, Histoire ; au milieu, un superbe salon contenant 1 503 manuscrits renfermés dans des corps de bibliothèques en chêne (...) Les manuscrits les plus précieux sont placés dans une vitrine double. »
La bibliothèque connaît dans ces années une belle stabilité et un notable accroissement de ses collections. Plusieurs personnalités locales enrichissent les fonds par des dons ou legs. Gaston Collon nous en précise les noms dans l’introduction au Catalogue des manuscrits, édition 1900 : « MM. de Boislecomte ; le docteur Bruneau ; Chambert ; le docteur Charcellay ; J. Cloquet ; le duc de Choiseul ; Diard ; A. Dorange, conservateur de la Bibliothèque ; Duvau ; Evra ; Gilbertson ; Jahan ; de La Grandière, ancien maire de Tours ; V. Luzarche, ancien maire de Tours et conservateur de la Bibliothèque ; P. Nobilleau ; le comte Odart ; d'Ornant ; A. Pécard, conservateur du Musée archéologique ; Pigeon-Bérard ; R. Roy ; le comte Twent de Rosemberg ; le comte R. de Villeneuve ; Weyler de Navas, qui légua à la Bibliothèque une quarantaine de manuscrits relatifs à l'histoire militaire au moment de la Restauration, etc. ».

Une grande importance est accordée au patrimoine local et à la collecte de documentation et textes s’y rapportant. Trois legs d’érudits tourangeaux sont essentiels dans cette seconde moitié du XIXe siècle  par la somme de connaissances qu’ils ont rassemblée sur la province : André Salmon (1818-1857), Henry Lambron de Lignim (1799-1863) et l’abbé Jean-Jacques Bourassé (1813-1872).
On note également des dons faits par des étrangers, notamment des Anglais lors de leur séjour en bords de Loire. Enfin, les achats et envois de l’État se poursuivent. Ainsi, 1592 volumes relatifs à l’histoire de la Touraine provenant de la bibliothèque de Jules Taschereau (1801-1874) sont acquis par la ville de Tours en vente publique en 1875. La Bibliothèque municipale devient un acteur incontournable pour quiconque s’intéresse à l’histoire locale.
Rappelons également qu’en 1875 est publié le Catalogue descriptif et raisonné des manuscrits de la bibliothèque de Tours, fruit de plusieurs années de travail de différents conservateurs et collaborateurs dont Jules Taschereau, natif de Tours et Léopold Delisle, tous deux conservateurs à la Bibliothèque impériale à Paris.

Structuré, bien organisé, l’établissement propose les horaires d’ouverture suivants publiés dans le Règlement intérieur de 1877 : « La bibliothèque est ouverte au public de midi à quatre heures tous les jours, sauf dimanche et jours fériés, et le soir, du 1 nov au 1 mai, de 19h30 à 21h30.
Les vacances ont lieu du 15 août au15 octobre et durant la quinzaine de Pâques. »
De cette époque nous sont également parvenus les premiers registres d'entrées dans les collections ainsi que le registre compilant les procès-verbaux des séances de la commission de la Bibliothèque.

Une ombre au tableau se dessine lorsque la municipalité projette la construction d’un nouvel hôtel de ville à l’angle de la rue Nationale et du boulevard Heurteloup, projet confié à l’architecte tourangeau Victor Laloux. La première pierre est posée le 24 mai 1896. Au fur et à mesure de l’avancée des travaux, la démolition de l’hôtel Papion du Château et de son voisin l’hôtel Léturgeon deviennent nécessaires. La Bibliothèque déménage un temps dans des hangars de la cour de l’immeuble Léturgeon en attendant que se libère son futur lieu d’accueil situé place des arts face à la Loire. Il s’agit du bâtiment abritant les services municipaux qui attendent l’inauguration du nouvel hôtel de ville en septembre 1904 pour s’y installer, permettant à la Bibliothèque de prendre possession de l’ancienne mairie tout juste vacante.

Le registre consignant les procès-verbaux nous indique le moment précis du transfert des collections, de mai à juillet 1907. Le déménagement a été géré par Gaston Collon (1869-1932), le directeur de l’établissement depuis 1895. Diplômé de l’École des Chartes, il a, depuis son arrivée à Tours, mené à bien un travail nécessaire compte-tenu des nouvelles normes de description bibliographique et des avancées de la recherche, la mise à jour du catalogue général des manuscrits de la Bibliothèque de Tours paru sous l’égide de la Bibliothèque nationale de France  (Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France. Départements — Tome XXXVII. Tours.  Paris, Plon-Nourrit, 1900). Trois cents manuscrits environ ont été ajoutés au Catalogue Dorange de 1875, qui s'arrêtait au numéro 1503 et la bibliothèque n'a plus eu à déplorer la perte d'aucun de ses manuscrits. Deux catalogues méthodiques de la Bibliothèque de la ville de Tours pour les domaines les plus conséquents en volumes et les plus consultés, l’Histoire et les Belles-Lettres, sont également publiés chez l’éditeur local Bousrez de 1891 à 1895.

Gaston Collon est secondé de 1897 à 1914 par le conservateur-adjoint Jules Grosjean (1871-1930). Tous deux poursuivent l’enrichissement des collections dans tous les domaines augmentant de près de 23 000 livres des fonds déjà conséquents.
La bibliothèque accueille ses lecteurs et visiteurs dans un édifice de la fin du XVIIIe siècle qui servit d’hôtel de ville de 1786 à 1904. Au débouché du pont de pierre, la place des Arts (place Anatole France après 1933) avec ses deux bâtiments symétriques forment une entrée de ville souvent admirée, aux portes de la vie économique et culturelle de Tours.
Les collections se déploient sur une belle surface de 945 m² répartie sur trois niveaux : le rez-de-chaussée est dévolu à l’ancien fonds de la bibliothèque et aux collections déposées par la Société archéologique de Touraine (dès l’été 1909). Le premier étage abrite les salles de lecture, la salle des dépôts et le cabinet des manuscrits et livres précieux qui retrouvent leur place dans les armoires et vitrines du château de Chanteloup. Le second étage complète les espaces de stockage du rez-de-chaussée.
En dehors du dépôt de la bibliothèque de la Société archéologique de Touraine, d’autres sociétés savantes décident également de transférer leurs collections à la Bibliothèque municipale. Des salles et magasins seront réservés pour la Société de géographie de Tours, la Société des Amis des arts de la Touraine, la Société d’agriculture, sciences, arts et belles-lettres d’Indre-et-Loire ainsi que le Cercle tourangeau de la ligue et de l’enseignement. Le bâtiment abrite également les archives municipales anciennes.
Les conservateurs et bibliothécaires qui se sont succédé n’ont eu de cesse de maintenir des liens étroits avec ces différentes sociétés, les riches collections se complétant ou renforçant un champ   du savoir moins représenté dans les fonds de la municipale (voir à ce sujet l’article de Daniel Schweitz « La première bibliothèque d’étude de la Société archéologique de Touraine (1840-1940) », BSAT, LV, 2009). Dans la plupart des cas, livres et revues des sociétés savantes ne sont prêtés à domicile qu’à leurs membres mais ils sont consultables dans la salle de lecture du premier étage à des horaires beaucoup plus larges et à un lectorat de fait plus étendu, le personnel de la Bibliothèque municipale assurant les demandes et la manutention.

En 1922, Gaston Collon prend sa retraite. Il est remplacé à la tête de l’établissement par son fils,  Georges Collon (1898-1961), archiviste-paléographe, qui vient de soutenir une thèse sur Pierre Bérard et la réforme municipale à Tours en 1462, étude qui sera publiée dans le tome LII des Mémoires de la Société archéologique de Touraine en 1928. Né et ayant grandi à Tours, ce jeune conservateur diplômé de l’École des Chartes connaît parfaitement la Bibliothèque municipale dont il assure la direction jusqu’en 1953.
Lors de l’arrivée des Allemands à Tours en juin 1940, c’est à lui que reviendra la délicate mission de protéger les collections, aidé par les deux conservateurs-adjoints nommés en 1923, Jacques-Marie Rougé (1873-1956) et Léopold Bariller (1898-1954).
Avant d’en venir à ces tragiques journées, retrouvons la Bibliothèque municipale et les projets de Georges Collon en matière de  développement de la lecture à Tours. Un article publié en 1929 dans la Revue des Bibliothèques, « La modernisation d'une bibliothèque municipale », permet d’apprécier ses convictions et son souci d’ouvrir largement les collections à tous les publics, notamment ceux des couches populaires.
Il pose comme principe  idéal qu’« une bibliothèque municipale ne doit pas être exclusivement une bibliothèque savante, telle que peuvent et doivent l’être les établissements à collection et à public spécialisés. Seule la plupart du temps dans sa ville, elle est l’unique lieu de ressource de ceux qui aiment lire ou qui ont besoin de s’instruire. Son but ne doit donc pas être seulement de documenter un public restreint, mais d’être utile à tout le monde comme les autres services municipaux ». Effectivement, les expérimentations menées à Tours pour « moderniser » une institution aux collections patrimoniales et locales très affirmées ont été nombreuses et semble-t-il appréciées des lecteurs -même la mise en place du prêt payant à partir de 1927, justifié par l’emploi de personnel supplémentaire. Faute de pouvoir toutes les citer, reprenons l’impression générale de Cornélia Serrurier qui visite l’établissement pour la rédaction de son livre Bibliothèques de France (La Haye, M. Nijhoff, 1946) « Dès l'entrée on se rend compte que cette Bibliothèque appartient à la catégorie des « vivantes » ». Ce sont en effet plus de 36 000 lecteurs inscrits (chiffres 1936) qui fréquentent un lieu culturel ouvert 345 jours par an, dimanche inclus, de 10h à 11h30 et de 13h à 17h. Le public a accès à plus de 212 000 ouvrages, sans compter les fonds déposés par les sociétés savantes, des livres en langues étrangères, plus de 340 revues et, dès octobre 1937, une salle de lecture spécifique pour la jeunesse est ouverte.

Cette bibliothèque qui avait su s’adresser à tous les publics et faire rayonner ses richesses est touchée de plein fouet dès le début de la Seconde guerre. Le matin du 19 juin 1940, des tirs d’obus explosifs lancés par les troupes allemandes massées sur la rive opposée de la Loire déclenchent un incendie ravageur à l’intérieur du bâtiment tandis que d’autre bombes embrasent tout le quartier.

Les collections n’ont pu être évacuées hors de Tours faute de temps, de matériel et d’hommes. Seule une infime partie a été déplacée dans la chambre forte partiellement aménagée sous l’ancienne mairie. Le directeur Georges Collon, bien que mobilisé sous les drapeaux, coordonne les opérations de ses collaborateurs, Jacques-Marie Rougé et Léopold Bariller. A partir du samedi 15 juin et jusqu’au 18 juin, les boîtes des anciennes archives municipales puis les ouvrages précieux soit 498 manuscrits sont mis à l’abri dans les caves. Dans l’urgence, des choix s’imposent : sont privilégiés les 200 premiers volumes selon l'ordre des cotes puis les manuscrits médiévaux. Le personnel quitte les lieux pour n’y revenir que le 26 juin. Dans les décombres encore fumants, il constate avec soulagement que les documents déposés dans l’abri sont intacts. Tout le reste par contre est parti en cendre, soit plus de 215 000 documents.
Georges Collon déplore en effet la perte de 1 200 manuscrits, 400 incunables, la totalité des belles reliures et des estampes, des collections de sceaux et de monnaies, de 180 000 imprimés et 140 collections de périodiques appartenant en propre à la bibliothèque municipale, des quelques 25 000 volumes déposés par les sociétés savantes et tous les dossiers documentaires et photographiques relatifs au fonds local.

Pour approfondir le contexte historique et le déroulé des faits, vous pouvez vous reporter à la publication de Daniel Schweitz, L’incendie de la Bibliothèque de Tours, juin 1940, Mémoires de l’Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres d’Indre-et-Loire, 2009, t. XXII.
Les 142 caisses de documents sauvés de l’incendie sont évacuées vers les Archives départementales, place de la Préfecture. Puis les fonds précieux de la Bibliothèque sont entreposés dans la chapelle du château d'Ussé, à côté d’autres collections déposées par la Bibliothèque nationale.
Trop fragile, la façade de la Bibliothèque demeurée debout place Anatole France fut entièrement détruite en novembre 1940. Il n'en reste que le linteau de la porte d'entrée où, sur l'une des faces on peut lire « Hôtel de ville » et sur l'autre « Bibliothèque ».